Au large de Saint-Louis, une flamme jaillit de l’océan depuis le début de l’année 2025. Visible à plusieurs kilomètres, elle éclaire la vieille ville chaque nuit, rappelant la présence du projet gazier Grand Tortue Ahmeyim (GTA), mené par BP et Kosmos Energy en partenariat avec le Sénégal et la Mauritanie. Derrière cette lumière, symbole d’un espoir économique, se cache une autre soùbre réalité sombre à savoir celle du torchage du méthane ; un gaz à effet de serre 86 fois plus puissant que le CO 2 sur une courte période, ce qui n’est guère rassurant pour la population entre promesses de développement et inquiétudes des risques environnementaux.
Ancienne capitale de l’AOF, Saint-Louis du Sénégal conserve les traces de son passé colonial à travers ses bâtiments historiques qui lui valent son statut de patrimoine mondial de l’Unesco. Mais dans la Langue de Barbarie, cette mémoire coloniale s’efface. Les quartiers populaires de Guet Ndar, Ndar et Gokhou Mbathie restent fidèles à leurs traditions, loin du confort moderne. Le décor vivant, les pirogues colorées alignées sur le rivage, enfants nus et pieds poussiéreux se mêlent au vacarme des calèches. Sur les berges du fleuve, les jeunes qui fabriquent des pirogues, témoignent d’un mode de vie communautaire où la pêche demeure l’âme de la cité.
Au-dessus de ce quotidien vibrant, jaillit un immense nuage de fumée provenant du torchage du gaz de GTA qui plane sur les populations. Cette flamme, visible depuis la mer, éclaire d’une lueur étrange Guet Ndar et toute cette bande de terre incrustée entre l’atlantique et le fleuve. Symbole d’une modernité imposée, elle suscite autant de fascination que d’inquiétude dans cette communauté de pêcheurs.

Dans cette ambiance contrastée, Yaye Meissa Dièye exerce son métier de mareyeuse au quai de pêche de Saint Louis dans une peur bleue permanente. Entre caisses de poissons étincelants et allées encombrées, elle cache mal son inquiétude face à cette à cette torche qui illumine à 1000 feux les multiples dangers auxquels ils font face quotidiennement. Selon la mareyeuse, les difficultés économiques ne sont pas les seules à peser sur leur quotidien depuis l’installation de la plateforme elles s’inquiètent désormais des risques sanitaires liés au torchage du méthane, dont la flamme est visible à partir des maisons de la Langue de Barbarie.
« Nous ne savons pas grand-chose du méthane, mais une chose est certaine cette fumée noire qui s’échappe jour et nuit nous met en danger », alerte-t-elle, la voix teintée d’inquiétude
Elle poursuit « Chaque fumée nous fait peur, on ne sait plus quoi penser. Depuis que cette flamme est allumée, on constate qu’il y’a des maladies qui sont devenues plus courantes dans la langue de barbarie comme l’asthme et d’autres maladies respiratoires mais on ne s’aurait dire que ces maladies sont liées à l’exploitation du gaz ou bien à cette torche qui illumine nos côtes. Toutefois c’est un constat qu’on a fait et on attend que le ministère de la santé nous éclaire ». Confie Yaye Meissa Dièye. Une réaction reflétant le sentiment général de confusion et de méfiance.
A en croire cette dernière, les populations s’interrogent sur le mutisme des autorités et de l’entreprise Bp sur les conséquences que peut avoir cette fumée sur leur santé, leur environnement mais aussi de leurs moyens de subsistance face aux émissions de méthane issues du torchage « Nous voulons que les autorités nous disent la vérité sur ce qui se passe. Parce qu’au-delà des milliards annoncés, il y a nos vies et notre santé. Et nous, qui vivons ici dans la Langue de Barbarie, sommes les premiers exposés ».
La société civile appelle au respect des droits des communautés
Dans le jardin qui jouxte le mythique pont Faidherbe, Ababacar Sy se tient droit, silhouette élancée visage fermé. Son regard, se perd au loin, vers cette flamme industrielle qui perce le ciel au-dessus de la mer. « Le torchage, dit-il, est une menace que nous devons prendre très au sérieux » lance le point focal d’Action Solidaire International à Saint Louis.
Il estime que ce feu qui illumine désormais la nuit de Saint-Louis est plus qu’un signal, il dessine un nouveau pont, fragile et incertain, entre les promesses du gaz et les menaces qui pèsent déjà sur la vie des populations riveraines. « Le méthane est un gaz issu de l’extraction de certains fossiles comme le pétrole et le gaz. Cette exploitation du gaz à GTA peut avoir des retombées économiques, mais elle entraîne aussi des impacts négatifs, surtout lorsqu’il est torché à l’air libre ». Ajoute-t-il
Selon M Sy les populations locales voient dans cette fumée une menace directe pour l’environnement et pour la santé. « La population risque de subir les conséquences du méthane », souligne Ababacar , pointant une augmentation des problèmes respiratoires dans les communautés proches des plateformes. Au-delà des effets sanitaires, la pollution liée au torchage peut aussi affecter l’environnement et les moyens de subsistance, renforçant la méfiance et l’inquiétude.
Il est donc essentiel pour M Ababacar, que la Direction Régionale de l’Environnement et des Etablissements Classés chargée de veiller au respect des plans de gestion environnementale, communique de manière transparente afin que les populations comprennent les risques liés au méthane ».
Mamadou Ndiaye, le Président de l’association Langue des Braves rencontré sur la plage à Gokhou Mbadj, ne cache pas son inquiétude face aux conséquences du torchage du méthane. Connu dans l’ile pour ses positions tranchées pour la défense des droits des communités face au projet GTA, lance un cri d’alerte « Nous, n’avons pas fait de hautes études pour comprendre exactement ce qu’est le méthane et les dangers qu’il représente, mais une chose est certaine : depuis que cette torche a commencé à s’allumer au-dessus de nos têtes en début 2025, nous avons fait des constats alarmants sur certaines maladies qui ont certes toujours existé mais ont connu une progression rapide», laisse-t-il entendre.
Au-delà de la santé, M Ndiaye pointe aussi les impacts négatifs sur l’environnement. Mais ce qui le préoccupe davantage, c’est cette absence de l’État. « Nous attendons de l’État qu’il vienne nous rassurer par rapport aux impacts de ce torchage du méthane sur notre environnement et notre santé. Mais le constat, c’est que l’État ne nous a pas assisté comme il le fallait. Quand il y a eu cette fuite de gaz, nous n’avons senti aucune présence à nos côtés, alors que nous sommes les premiers exposés à cette exploitation », regrette-t-il.
Le cri d’alerte des jeunes: « Le gaz ne doit pas étouffer nos vies »
De l’autre côté de la rive, à Pikine Bas Sénégal, il suffit de lever les yeux pour voir la flamme du torchage qui illumine le ciel. Thierno Dicko contemple cette impressionnante boule de feu visible depuis ce quartier périphérique de Saint Louis où il a passé son enfance. Ce jeune activiste, blogueur et Président du collectif pour la protection de la mangrove à Pikine, est aujourd’hui l’une des voix les plus critiques du projet gazier GTA.
Personne ne nie l’importance de ce projet pour le Sénégal. Mais il faut avoir le courage de dire aussi qu’il est porteur de risques énormes pour l’environnement et pour les populations », lance-t-il, le regard fixé vers la flamme qui s’élève au large.
Pour lui, l’incident récent de fuite sur la plateforme a été un électrochoc. « Cette fuite a semé la panique, et à juste titre. Elle a montré que les dangers ne sont pas théoriques. Ils sont réels. C’est un avertissement pour nous tous », insiste-t-il. Dans ses mots, l’inquiétude se mêle à la colère : « Ce gaz, ce n’est pas seulement une ressource. C’est aussi une menace pour la mer, l’écosystème marin pour l’air que nous respirons, pour notre santé ».
Thierno évoque surtout les conséquences sanitaires et environnementaux. « Le méthane, c’est 80 fois plus nocif que le CO₂ à court terme. Ici, on voit déjà des pêcheurs qui se plaignent de maux de tête, de problèmes respiratoires, de malaises. Cette flamme que certains regardent comme un signe de progrès, pour nous, elle est une source d’angoisse ».
Il prévient : « la Langue de Barbarie est déjà au bord du gouffre avec l’érosion côtière. Si on ajoute à cela la pollution de l’air et les rejets en mer, c’est une double peine pour ses habitants ».
Il demande des comptes aux autorités, à BP, à leurs partenaires. « L’Afrique ne doit pas être le laboratoire du non-droit. Ici aussi, nous avons droit au respect des normes, au respect de nos vies et de notre environnement et de notre écosystème marin » déclare-t-il.
Pour sa part Baye Salla Mar, président de la commission environnement et développement durable de la commune de Saint- Louis, c’est un sentiment mêlé d’espoir et d’appréhension des risuqes environnementaux face au projet gazier GTA. Il estime que la découverte de gaz et de pétrole constitue une aubaine économique pour le Sénégal, surtout dans un contexte de pauvreté et d’endettement. Elle pourrait, dit-il, améliorer l’accès à l’énergie et renforcer l’autonomie du pays. Mais derrière cet enthousiasme, l’élu appelle à la prudence sur les risques environnementale qu’endre une telle industrie notamment les émissions de méthane.
Il alerte sur les risques liés aux émissions de gaz à effet de serre, notamment le méthane, « 28 fois plus puissant que le CO₂ », rappelle-t-il. Le torchage du gaz, pratique courante sur les sites d’exploitation, inquiète particulièrement l’élu dans un monde déjà confronté au changement climatique. « Nous ne pouvons pas rester indifférents face à ce danger », insiste-t-il.
Au-delà de l’écologie, Baye Salla Mar évoque un enjeu social et territorial majeur : l’avenir même de Saint-Louis. Il regrette que la commune soit peu impliquée dans les décisions relatives au projet, malgré sa position en première ligne face aux impacts. « Les élus locaux, notamment le maire, doivent être associés au processus », plaide-t-il. Car, prévient-il, en cas de pollution ou de dégradation, les premières victimes seront les habitants de Saint-Louis.
Au regard de ces nombreuses récriminations des populations ou bp est au banc des accusés. C’est pourquoi il a été jugé opportun pour l’équilibre de l’information, une lettre a été adressée à l’entreprise à son bureau de Saint Louis à la date du 8 septembre 2025. A date aucune suite n’a été donnée à cette correspondance.
Méthane et santé : entre surveillance scientifique et inquiétudes diffuses
Dans son bureau à la Direction régionale de la santé à Saint-Louis, le Dr Abiboulaye Sall, adjoint au Directeur régional, feuillette des registres épais et consulte les derniers rapports transmis par les districts sanitaires. Sa mission : suivre à la loupe l’évolution des maladies respiratoires, particulièrement dans la Langue de Barbarie, devenue l’épicentre des inquiétudes avec le torchage du méthane visible depuis la côte.
« Chaque semaine, nous recevons des données consolidées, en particulier pour la tuberculose, qui dispose d’un programme national dédié », explique-t-il. Les chiffres, pourtant, n’indiquent pas de flambée soudaine : 399 cas au premier semestre 2023, un peu plus de 400 en 2024, et 390 sur la même période en 2025. « La Langue de Barbarie reste une zone de forte incidence, mais ce phénomène est ancien et lié surtout aux conditions de vie et à la promiscuité. Nous n’avons pas observé de changement brutal qui serait attribuable au torchage », insiste-t-il.
Mais le médecin tempère aussitôt. « Si nous enregistrons moins de cas que prévu, cela ne signifie pas forcément que la maladie recule. Cela peut aussi refléter un manque de dépistage ». Il rappelle qu’un diagnostic précoce est la clé pour briser la chaîne de contamination.
Au-delà de la tuberculose, la région dispose d’un site sentinelle qui joue un rôle stratégique. « Ici, nous surveillons toutes les maladies respiratoires courantes, de la grippe à l’asthme. Chaque prélèvement suspect est envoyé à l’Institut Pasteur de Dakar. Pour l’instant, rien d’anormal n’a été détecté », précise-t-il.
Pourtant, le médecin n’écarte pas les risques : « certaines maladies comme l’asthme ou les affections allergiques peuvent être aggravées par des fumées ou des polluants atmosphériques. Il serait naïf de penser que ces flammes et cette fumée noire, qui inquiètent tant les pêcheurs, n’ont aucun effet ».
Quant au méthane, le Dr Sall se montre prudent. « Les études d’impact environnemental existent, des recommandations ont été faites, et à ce jour, nos données ne révèlent pas d’épidémie ou de maladie nouvelle liée au torchage. Mais cela ne veut pas dire que le risque est nul. Certains impacts se manifestent à long terme, parfois de façon silencieuse. Notre rôle est donc de rester en alerte permanente ».
L’Etat apporte des précisions
Longtemps interpellé par les populations, les autorités tentent de rassurer et apporte des éclaircissements. Le méthane n’est pas un « angle mort » de la réglementation estime d’emblée M Baldé. Déjà classé parmi les gaz à effet de serre et un polluant climatique majeur, il fait l’objet de dispositions légales et de suivis dans le secteur extractif malgré qu’il suscite de vives interrogations au sein des populations riveraines.
Au ministère de l’Environnement et de la Transition écologique, le discours se veut clair. Selon M. Mamadou Baldé, chargé du suivi des questions pétrolières et gazières, le cadre réglementaire encadre strictement le torchage. « L’article 133 de la loi n°2023-15 du 02 août 2023 portant Code de l’Environnement interdit le rejet de gaz dans l’atmosphère, sauf en cas de nécessité pour protéger les installations et le personnel. Le torchage de routine est proscrit, seul celui de sécurité est autorisé », explique-t-il.
Ce contrôle, assure-t-il, s’accompagne d’un suivi régulier sur le terrain. « Lorsque nous allons sur les plateformes, nous vérifions les conditions, les raisons invoquées et les quantités exactes de gaz torchées. Nous sommes le régulateur : quand on autorise, on contrôle », insiste-t-il.
L’incident de Saint-Louis et les explications officielles
Les inquiétudes se sont ravivées après un épisode de fumée noire observé au large de Saint-Louis. Les images, largement relayées sur les réseaux sociaux, ont suscité de vives réactions. M. Baldé précise qu’il ne s’agissait pas d’un torchage de méthane, mais d’un incident technique. « Un dysfonctionnement du générateur, sur une durée inférieure à deux heures, a provoqué une combustion incomplète », indique-t-il. Selon le ministère, la situation a été maîtrisée et suivie par la Direction des hydrocarbures.
Un cadre spécifique encore en construction selon le ministère de l’énergie du pétrole et des mines
Pour M Yakhya Badiane, point focal au ministère de l’Énergie, du Pétrole et des Mines, le méthane est déjà mentionné dans plusieurs textes : le Code pétrolier, le Code gazier et le Code de l’environnement. Cependant, il reconnaît l’absence d’une réglementation dédiée. « Les principes existent, mais il manque un dispositif spécifique et opérationnel pour encadrer la gestion du méthane et de ses fuites », explique-t-il.
Le Sénégal travaille actuellement à la mise en place d’un cadre juridique plus précis, en collaboration avec la Mauritanie. « Nous visons une harmonisation de nos textes d’ici la fin de l’année. La Mauritanie est déjà plus avancée sur ces questions. L’objectif est de disposer d’un dispositif commun et cohérent », ajoute-t-il.
Le torchage, une pratique encadrée mais controversée
Les autorités assurent que le gaz reste une ressource trop précieuse pour être brûlée. « Toutes les molécules de gaz représentent de la valeur. Le torchage de routine est interdit au Sénégal », souligne M. Baldé. Les flammes observées relèveraient, selon lui, des phases de test et de mise en service des installations. À terme, le projet GTA ne prévoit pas de torchage permanent.
Concernant la fuite de gaz signalée à 2 700 mètres de profondeur, les experts affirment que le méthane se dissipe avant d’atteindre la surface. « Les bulles ne sont perceptibles que jusqu’à 1 700 mètres », détaille M. Badiane. Il reconnaît néanmoins que cette dissipation peut affecter certains organismes aquatiques, sans pour autant provoquer d’impact comparable à une marée noire.
Vers une harmonisation régionale des textes
Le Sénégal et la Mauritanie travaillent de concert pour harmoniser leurs réglementations sur le gaz et le méthane. Cette révision devrait intégrer la gestion des fuites, le suivi des émissions, mais aussi les sanctions en cas de non-respect des normes environnementales. L’objectif est d’assurer une exploitation responsable, conforme aux standards internationaux de réduction des émissions.
Communication et transparence, un défi persistant
Si les autorités reconnaissent la nécessité d’un cadre juridique renforcé, elles admettent également un déficit de communication. « Il faut des efforts de sensibilisation et une stratégie claire. Les communautés sont nombreuses, représentées par plusieurs associations, ce qui complique le dialogue », note Mamadou Baldé.
La SCAME (Sous-commission sur l’environnement) prépare actuellement une stratégie de communication pour mieux informer les populations sur le torchage, ses causes et ses impacts. De son côté, M. Badiane estime que la législation doit s’accompagner d’une pédagogie publique. « L’État doit aller au-delà des textes. Il faut une information claire, régulière et accessible pour instaurer un climat de confiance », affirme-t-il.
BP a également été officiellement saisi par courrier afin de recueillir sa position sur la question des émissions de méthane dans le cadre du projet gazier Grand Tortue Ahmeyim (GTA), ainsi que sur les inquiétudes exprimées par les populations riveraines. Cette démarche visait à obtenir des clarifications sur les mesures de prévention, de suivi et de réduction des émissions, dans un contexte de forte sensibilité environnementale. À ce jour, cette correspondance est restée sans réponse, alimentant les préoccupations des communautés et les interrogations sur la transparence du projet.
Une flamme qui continue de diviser
Malgré ces assurances, les habitants de Saint-Louis restent prudents. La flamme offshore, visible la nuit, continue de susciter à la fois fascination et crainte. Pour beaucoup, elle symbolise une modernité imposée et les contradictions d’un projet présenté comme porteur d’espoir.
Les autorités promettent des cadres juridiques renforcés, une coopération régionale et plus de transparence. Mais sur le terrain, les populations attendent des gestes concrets : la publication de données environnementales, des mesures sanitaires indépendantes et un partage équitable des bénéfices du gaz.
Entre espoir de développement et inquiétude écologique, Saint-Louis vit au rythme d’une flamme qui éclaire autant les promesses d’un avenir énergétique que les incertitudes d’un présent fragile.
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