SENEGAL : Projet de code de l’environnement : Les limites de la réforme !
Le Sénégal connait une longue tradition formelle, institutionnelle et
jurisprudentielle en matière de protection de l’environnement, notamment
en tout ce qui concerne les installations classées. La première remarque sur le
projet de code, c’est que le législateur fait entrer toutes les autres
composantes du secteur extractif dans le régime général de droit commun de
la protection de l’environnement (Evaluation environnementale – Pollution –
Nuisance – Taxe – Sanctions). Voici mon avis sur la question.
(CONTRIBUTION)
Déjà en 1917, la loi française du 19 décembre encadrait les établissements
classés dangereux, insalubres ou incommodes. En 1964, avec la loi n° 64 – 46
relative au domaine national, le législateur sénégalais découpe le territoire
national en quatre (4) zones parmi lesquelles se trouvent les zones franches ou
zones industrielles, les zones classées pour la préservation des ressources
animales et végétales ainsi que leurs habitats naturels. Ensuite, en 1971 la loi n°
71 – 12 fixait le régime des monuments historiques et celui des fouilles et
découvertes.
Il faudra ajouter la loi du 4 mars 1981 qui pose les principes de la gestion des
eaux. Cette loi avait une vocation typiquement hydrologique, les exigences
environnementales, les bonnes pratiques en matière d’exploitation des
ressources hydriques n’étaient pas de mise d’où la nécessité pour le législateur
actuel d’envisager impérativement sa réforme si on sait que l’eau constitue une
ressource extractive stratégique.
Une tradition de politique environnementale
Au final, il convient de dire qu’originellement, l’empreinte environnementale
de ces instruments juridiques ne souffre d’aucune ambigüité. Sur le plan
institutionnel, juste après les indépendances, l’Etat du Sénégal mettait en place
le Conseil National de l’Urbanisme et de l’Environnement, le Conseil Supérieur
de la Chasse et de la Protection de la Faune, le Conseil Supérieur des
Ressources Naturelles et de l’Environnement.
Ces cadres institutionnels avaient pour principal objectif d’élaborer et de
formuler les orientations en matière de politique de protection et de
préservation de l’environnement. Au plan jurisprudentiel, la Cour d’Appel de
Dakar en sa séance du 19 mars 1971 évoquait déjà la problématique des
installations classées dans l’affaire D Pizano contre M.B. Bachir]. Ce rappel
historique montre à suffisance l’importance que l’autorité étatique d’antan
accordait à la gestion des impacts négatifs des installations classées sur les
écosystèmes, les établissements humains, la santé humaine etc.
Cependant, il urge de préciser que la place des installations classées comme
partie intégrante du secteur extractif, demeurait toujours ineffective dans les
législations de 1983 et de 2001 portant code de l’environnement. Avec les
nouvelles découvertes (Pétrole – Gaz), l’adoption de nouveaux standards en
matière de sauvegarde environnementale, l’exigence des communautés en
matière de respect des droits humains, le plaidoyer de la société civile, le
législateur actuel se trouve dans l’obligation d’arrimer l’arsenal juridique en
vigueur aux nouvelles données environnementales.
Promouvoir une gouvernance environnementale équilibrée
Dès lors, autant le secteur extractif génère des revenus financiers importants
pour le trésor public, autant il génère une pollution exorbitante affectant
gravement les interactions écosystémiques. Donc, il est nécessaire de poser les
jalons d’une gouvernance environnementale équilibrée, durable à travers un
corpus juridique environnemental moderne. Ainsi, se pose la question de
l’effectivité de la place du secteur extractif dans le projet de code de
l’environnement.
Le secteur extractif est – il seulement la constellation des ressources classiques
(Pétrole – Or – Gaz – Phosphate – Fer etc.) ? Qu’en est-il des autres ressources
extractives (Sable – Eau – Sel – Poisson etc.). En tout cas, le débat est bien
entretenu au sein des experts de l’Action pour la Justice Environnementale
(AJE). Le projet de code de l’environnement a-t- il, suffisamment, pris en
compte les préoccupations des acteurs en matière de gestion des externalités
négatives du secteur extractif ? Qu’en est-il de la question des droits des
personnes affectées par les projets extractifs ? La réponse à ces questions
amène à constater dans le projet de code une prépondérance annoncée du
secteur des hydrocarbures (I) sur les autres secteurs extractifs et une
ambivalence dans l’encadrement des externalités négatives du secteur extractif
(II).
I) -Une prépondérance annoncée du secteur des hydrocarbures sur les autres
secteurs extractifs dans le projet de Code de l’Environnement. Cette
prépondérance se manifeste par la consécration explicite du secteur des
hydrocarbures (A) et la consécration implicite des autres secteurs extractifs (B).
A) -Une consécration explicite du secteur des hydrocarbures. En analysant
minutieusement l’article L132 du projet de code, il est aisé de constater
l’orientation du secteur des hydrocarbures vers une approche essentiellement
organique. C’est ainsi qu’il est prévu la création d’un Fonds spécial dénommé «
Fonds National de Prévention et de Protection de l’Environnement Marin et
côtier (FN-PEM) ».
Les modalités d’alimentation et de fonctionnement du fonds seront fixées par
décret. En ce sens, pour jouer son rôle de vigile, la société civile doit se
positionner et jouer un rôle d’influence dans l’élaboration de cet acte
réglementaire. L’article L133 du même projet prévoit la création, sous la tutelle
de la Présidence, d’un Comité national de Suivi de l’Environnement Marin, ci-
après désigné par le terme « CSEM ».
La composition, les missions et le fonctionnement du Comité est fixé par
décret. Dès lors, il est de droit de rappeler à la commission chargée de
réformer le code de l’environnement quelques aspects matériels qui méritent
une place fondamentale dans le futur de code de l’environnement du Sénégal.
Il en est ainsi :
⁃ de la réglementation des levées sismiques. Pour rappel, les levées sont un
éventail de 12 à 48 pistolets avec une vitesse minimum 5 nœuds, des tires
chaque 10 à 12 secondes. Et sur une (distance surface) de 100 km2, on peut
enregistrer 5 à 8 millions de tirs. La conséquence directe de ces opérations c’est
l’échouage massif de certaines espèces halieutiques ;
⁃ des forages de puits, à noter que les quantités de déchets produits en
moyenne par une plateforme de production est de 60.000 m3 de fluides et de
15.000 m3 de déblais ;
⁃ de l’exigence d’un inventaire sous – marin avant toute activité de
développement des champs ;
⁃ des opérations de production et de transfert (Eaux de production – Gaz de
production – Gestion des eaux de ballast dans les FPSO – Gestion des déchets
des chambres de machines – Gestion des déchets domestiques issus des
activités connexes) ;
⁃ la réglementation des opérations de transport (Les risques de collision entre
engins – Pollution chronique due aux déchets des bateaux de transport des
produits) ;
⁃ du démantèlement après la production (La gestion des installations après
abandon). Malgré l’existence de nombreuses annexes tendant maladroitement
à encadrer ces problèmes, le législateur gagnerait à réglementer définitivement
et explicitement ces probabilités de risques et, adopter ainsi la même
démarche pour les autres secteurs. B) -Une consécration implicite des autres
secteurs (Or, Zircon, Phosphate etc.).
A lire le projet de code de l’environnement, la première remarque c’est que le
législateur fait entrer tous les autres composants du secteur extractif dans le
régime général de droit commun de la protection de l’environnement
(Evaluation environnementale – Pollution – Nuisance – Taxe – Sanctions). En
effet, à quel titre, le secteur des hydrocarbures mérite qu’on lui consacre des
chapitres et des articles spécifiques à côté d’autres secteurs pas moins
importants ? Qu’est ce qui justifie ce choix de la commission de réforme?
Pourtant, à regarder de plus près, des activités extractives comme l’orpaillage,
l’exploitation des carrières, du sel, de l’eau, du sable etc. altèrent
profondément les déterminants environnementaux et modifient
substantiellement les écosystèmes naturels. A ce titre, deux secteurs méritent
d’être indexés. Il s’agit d’abord du secteur de l’Orpaillage pour lequel il existe
une réglementation inappropriée à savoir les décrets de 2013 – 2014[3].
Avec le projet de code de l’environnement, le législateur doit légiférer, d'abord,
sur les mesures de protection de l’environnement dans les Diouras, ensuite,
dans le secteur des Carrières où le Modus operandi des exploitants suit un
processus dangereux pour l’environnement (Prospection – Défrichement –
Décapage – Forage avec des inclinaisons de 15 à 20m – Bourrage des trous avec
des explosifs – Usage de nitrate d’ammoniaque, encartouché et détonateur –
Tirs de mines et explosifs).
Quid du sel, du sable et de l’eau
Concernant le secteur de l’exploitation du sel, de l’eau et du sable un sérieux
débat mérite d’être posé, des études approfondies réalisées et un plaidoyer
fort formulé pour inviter l’autorité à prendre davantage en compte ces secteurs
dans la formulation des politiques publiques en matière de sauvegarde
environnementale. L’insuffisance de prise en charge des nuisances des secteurs
sus cités accentue l’ambivalence du législateur dans l’encadrement des
externalités négatives du secteur extractif.
Une ambivalence dans l’encadrement des externalités négatives du secteur
extractif
Cette ambivalence est due à un renvoi à outrance des mesures de sauvegarde
environnementale (A) à l’autorité réglementaire et une protection implicite des
droits des communautés autochtones (B).
Un renvoi à outrance de l’essentiel des mesures de sauvegarde à l’autorité
réglementaire L’option de la commission de réforme à renvoyer au pouvoir
réglementaire l’essentiel des instruments de régulation environnementale est –
elle efficace ? Au total, l’élaboration d’une quinzaine d’actes réglementaires est
prévue par la commission de réforme.
Certains se justifient en raison de la nature de l’objet visé tandis que d’autres
par contre, posent quelques difficultés, au moins à deux niveaux : d’abord, sur
la nature des actes administratifs en ce qui touche la computation des délais (2
mois francs) s’ils fonts griefs aux administrés qui tenteraient d’exercer un
Recours pour Excès de Pouvoir (REP); ensuite, il y a les problèmes relatifs aux
lenteurs administratives, à la méconnaissance des actes réglementaires par les
administrés, à l’insuffisance de sensibilisation des autorités administratives sur
les questions d’urgence environnementale.
A cela, s’ajoute l’influence des orientations politiques et des jeux d’intérêts
entre les lobbys du secteur extractif et les pouvoirs publics. Ainsi, en voici la
floraison d’actes réglementaires prévus par la commission de réforme du code
de l’environnement.
– Décret de création du comité national sur les changements climatiques
(COMNACC)
– Arrêté pour l’établissement périodique d’un « inventaire national de
GES)»
– Arrêté pour la liste des acteurs assujettis
– Décret portant création d’un fond national pour le climat
– Arrêté portant exonération pour les entreprises qui luttent contre la
pollution
– Arrêté portant liste du matériel et des produits anti – polluants
– Décret portant « Fonds spécial pour la protection de l’environnement »
– Arrêté portant création du « Comité national de validation des EE »
– Arrêté fixant les conditions d’octroi des agréments (Suppression de
l’unification de l’agrément ?)
– Arrêté fixant le contenu du document en cas de déplacement des
populations
– Décret fixant les conditions de rejet/ ou de retrait du certificat de
conformité environnementale
– Décret fixant les modalités d’application des frais liés à l’EE et au Suivi
des MSE
– Arrêté fixant les étapes de la procédure de l’EE (Formulaire pour avec de
projet)
– Décret portant création d’une commission nationale de gestion des
produits chimiques – Décret portant création de fond spécial dénommé «
Fonds National de prévention et de protection de l’environnement marin
et côtier (FN – PEM)
– Décret portant création d’un comité de suivi de l’environnement marin
et côtier.
Cette batterie réglementaire contribue-t-elle à asseoir de manière effective le
respect des droits des communautés qui abritent les industries extractives ?
Une protection implicite des droits environnementaux des communautés
Une des innovations majeures du projet de code de l’environnement est
l’aménagement des mécanismes permettant aux citoyens d’ester en justice en
cas de dommage environnemental. L’article 107 du code de l’environnement
actuellement en vigueur accorde ce privilège aux collectivités territoriales et
aux associations spécialisées dans la protection de la nature sous réserve de
l’obtention d’un agrément spécial délivré par le Ministre chargé de
l’environnement et du développement durable.
L’actuelle mouture du projet de code (version du 20 décembre 2019) fait fi de
cet obstacle lié à l’agrément mais il n’en demeure pas moins que la société
civile espère disposer de la dernière version du projet de code pour pouvoir
faire une religion sur cette « innovation de taille ». Dans un autre registre, le
projet de code consacre une nouveauté relative au Droit à l’information
environnementale. Cette consécration suit la logique de la nouvelle norme 2.5
de l’ITIE. Par ailleurs, la consécration du dommage environnemental est reprise
par le projet de code.
De la nécessité de prendre en compte certains points importants
Cependant, il reste pour la commission de réforme de préciser les contours
d’un tel dommage qui, tout de même, reste très complexe. Malgré ces
avancées notables, le projet de code n’associe nullement les communautés
dans le processus de suivi environnemental, étant étendu que la participation
aux audiences et aux enquêtes publiques draine des tares sociales voire
communautaires, subjectives et objectives. Le projet de code devrait aussi
intégrer une dimension écologique forte visant à exiger des entreprises
extractives la prise en compte du cadre de vie des communautés (Régénération
Naturelle Assistée RNA – Reboisement – Valorisation des déchets – Soutien aux
métiers verts).
Vue l’importance de la biodiversité, la protection, la préservation des espèces
et leurs habitats, ne serait-ce que pour la lutte contre les zoonoses, devrait être
une priorité pour la commission de réforme. Récemment des études ont
montré le lien qui existe entre le covid19 et la biodiversité. Selon les premières
analyses génétiques du SARS-CoV2, le virus issu d’une chauve-souris a
nécessité un hôte intermédiaire pour acquérir, par recombinaison et mutation,
la capacité d’infecter les humains. Parmi les pistes retenues dans la recherche
de l’hôte intermédiaire : le pangolin, une espèce en voie d’extinction, très
braconnée. In fine, il faut remarquer pour le regretter l’affirmation implicite de
la dimension « santé environnementale » des milieux fragiles dans le projet de
code mais aussi de l’absence d’une vision futuriste sur la transition écologique.
Recommandations
En conclusion, quelques recommandations s’imposent en vue d’améliorer le
projet de code de l’environnement.
▪ La mise en place d’un cadre juridique adéquat
▪ La transposition des nouveaux engagements internationaux conventions
internationales dans l’arsenal juridique national
▪ L’interdiction des activités pétrolières dans les zones sensibles (AMPs, zones
de frai, couloirs de migration…)
▪ Le renforcement des capacités nationales dans le domaine du suivi des
Industries Extractives
▪ La mise en place d’un système de suivi régulier de l’état de l’environnement
avec une implication effective des acteurs de la société civile et des
universitaires.
Mamadou Lamine Diagne Juriste environnementaliste
Directeur Exécutif Action pour la Justice Environnementale (AJE)