Communication désastreuse, pression inutile sur Woodside : quand le Gouvernement se « noie » dans Sangomar !

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Le navire foreur, Ocean Black Rhino (Sangomar)

« First oil » ! Nouvelle échéance, (prochaine déchéance ?) : 2024 ! On ne verra pas le « baril du mandat ». Nous soutenions, depuis janvier 2022, que le premier baril de pétrole ne pouvait pas être commercialisé en 2023. Que le premier report était justifié, mais que le nouveau délai restait court. Ce n’est « pas sorcier ». Beaucoup le savait. A l’époque, tous les signaux étaient au rouge, mais le Gouvernement a maintenu sa pression (inutile) sur l’opérateur Woodside, en dépit des effets COVID, de la situation économique et de la géopolitique pétrolière. Il n’y a aucune surprise ! Aujourd’hui, l’étau se desserre pour des raisons évidentes. 2024 reste, tout de même, l’année de tous les (im)possibles.

Il n’y a aucune surprise, disais-je, ni pour le Gouvernement, encore moins pour les techniciens et les spécialistes du secteur pétrolier. On a demandé l’impossible à l’opérateur. Des sacrifices énormes, notamment en termes d’investissements, durant une période incertaine, marquée par une crise sanitaire sans précédent et son lot d’impacts économiques, ont été consentis par les partenaires de la joint venture, dont Far Limited. Cette dernière était obligée, le 11 novembre 2020, d’annoncer son retrait des blocs offshores sénégalais Rufisque Offshore, Sangomar Offshore et Sangomar Offshore Profond.

On évoquait des problèmes économiques. Il est clair que la compagnie australienne, assez modeste, ne pouvait pas prendre des risques supplémentaires. Ce n’est même pas dans ses ambitions de se lancer dans la production. Comme beaucoup de multinationales de son poids, qui amassent les capitaux de tiers grâce à la bourse et qui investissent dans la recherche à leurs risques et périls, FAR ne pouvait pas aller plus loin et les autorités devaient le savoir. Elles le savaient. Elles savaient donc qu’il y avait un autre obstacle à franchir dans le futur : la période de la cession des parts de FAR à un nouvel acquéreur extérieur au projet ou issu de la joint venture (Woodside, finalement le 7 juillet 2021 : 13,67% de Sangomar et 15% de RSSD). Un moment d’enchainement de procédures et d’incertitudes à gérer. 

Il faut rappeler que la collaboration FAR-Woodside se détériorait de jour en jour, depuis les premiers accrochages de 2017. Concomitamment, la pandémie affectait sérieusement le secteur des hydrocarbures dès les premiers mois de 2020. Un motif économique donc… Pourtant, la cession des parts de FAR à sa filiale sénégalaise a été approuvée le 2 avril 2020, par le ministre du Pétrole et des Energies d’alors, Mouhammadou Makhtar Cissé, soit juste 8 mois auparavant. Juste 8 mois, pour se rendre compte que la situation n’était pas celle qu’on imaginait, pour une multinationale ! Elle avait donc tout planifié.

Woodside semblait heureuse de se débarrasser d’une « sœur ennemie » qui devenait encombrante et dont le retrait (inévitable), commençait à durer, alors que l’opérateur n’avait vraiment plus de temps à perdre. Mais il fallait rester prudent dans le choix du futur acquéreur des parts mises en vente. La partie sénégalaise avait maintenu la pression sur l’opérateur. Le plus important pour les autorités sénégalaises, c’était de voir les premiers barils en 2023, quelque soit le prix à payer. La pression !

A plusieurs reprises et à de multiples occasions, l’actuel ministre du pétrole et des énergies et beaucoup de ses collaborateurs, ont insisté sur l’échéance. Ce refrain, tout le monde avait fini par le maîtriser : le Sénégal, dans le landerneau des pays pétroliers. Notre pays allait donc intégrer (dès décembre 2023, au plus tard), dans l’imaginaire de ceux qui y croyaient (à la date), les (grands) pays pétroliers. Aucun doute là-dessus (ou plutôt, aucune place pour le doute ou le conditionnel). Même les prévisions budgétaires, basées sur cette future manne financière, étaient surréalistes. Les économistes en ont parlé. La plupart ont voulu rester prudents.

Le pire management des attentes et des risques

On ne jure pas pour l’incertitude. Pourtant, c’est le jeu dangereux auquel le Gouvernement s’est prêté dans sa communication sur les attentes. Les autorités sénégalaises ont trop insisté sur 2023. Il devrait y avoir de la place pour le conditionnel. Il ne faut, ni être trop euphorique au point de créer les mirages d’un pays sorti de l’ornière, tout de suite, ni trop pingre en « vérités factuelles », afin de maintenir un climat de confiance et des attentes raisonnables.

Les plateaux de la RTS et le studio de Sud Fm, les séminaires, les ateliers, ont été des moments privilégiés pour « vendre » aux sénégalais un pays émergent, dès les premiers jours de 2024.

Le Gouvernement ne donnait aucune autre alternative à l’opérateur Woodside. C’était à prendre, ou à prendre. Les spécialistes avaient émis des réserves sur les délais, dès 2022. Ils avaient vu venir. Beaucoup étaient devenus sceptiques, à raison, puisque le secteur pétrolier est conditionné, à la fois par des facteurs externes et internes qui échappent généralement au contrôle de l’opérateur (technicien) et du décideur (politicien).

Le Gouvernement le savait. Mais depuis 2021, à la suite du premier report des délais du « first oil » et du « first gas», l’intention était devenue claire : exercer une forte pression sur les opérateurs pour que les productions démarrent avant la fin du mandat présidentiel. On devait, par tous les moyens, voir le « first oil » et le « first gas », avant 2024.

La communication sur cette question, ne prenait guère en compte les énormes risques, pourtant connus, même des profanes, qui entourent cette activité. L’industrie est un vrai château de sable. Elle craint la tempête et déteste les orages (instabilité politico-sociale et manque de transparence). C’est pourquoi, il est important de rester prudent et de prier pour que le temps reste clément, tout en évitant « la météo et les calculs politiciens ».

Voilà pourquoi le conditionnel est un temps charmant. Il offre toujours une issue de secours et une bouche d’incendie à qui sait l’employer au « temps juste ». Qui sait ? L’industrie n’aime pas le feu, même s’il en produit (au propre, comme au figuré). Il faut juste savoir gérer la flamme.

Abdou Diouf Junior

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