Région de Thiès : Sous la richesse minière, des fractures sociales et environnementales profondes

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La région de Thiès, l’une des zones les plus anciennement et intensément exploitées du Sénégal, incarne aujourd’hui les paradoxes du secteur minier national. Riche en ressources telles que les phosphates, les carrières et les matériaux de construction, elle est au cœur d’un modèle extractif qui, bien que porteur économiquement à l’échelle nationale, engendre de multiples vulnérabilités pour les populations locales. Une étude approfondie, commanditée par la Coalition Publiez Ce Que Vous Payez et OXFAM Sénégal, met en lumière, sur la base d’enquêtes de terrain, les impacts multidimensionnels de l’exploitation minière sur les communautés.

 Malgré les promesses de création d’emplois souvent associées au secteur minier, la réalité sur le terrain à Thiès est toute autre. Moins de 25 % des personnes interrogées déclarent avoir un emploi dans ce secteur, et ces emplois sont majoritairement temporaires, précaires et sans perspectives d’évolution. Les jeunes, en particulier, font face à un taux de chômage alarmant, tandis que les femmes sont quasi absentes de l’emploi minier formel, cantonnées à des rôles informels ou économiquement marginalisées.

Cette situation est d’autant plus préoccupante que 54,2 % des femmes déclarent vivre avec moins de 50 000 FCFA par mois, un chiffre qui révèle une pauvreté persistante dans un contexte pourtant générateur de richesses. L’étude montre par ailleurs que les dispositifs de compensation économique pour les populations affectées sont perçus comme injustes, opaques ou inexistants, nourrissant un sentiment généralisé de dépossession.

Un environnement en danger, des écosystèmes fragilisés, particulièrement dans la zone des Niayes

L’exploitation minière dans la région de Thiès est marquée par des conséquences environnementales sévères. Les témoignages recueillis font état de dégradations notables des terres agricoles, d’une pollution de l’eau, de l’air et de la végétation. Près de 90 % des répondants (89,8 %) indiquent que leurs terres ont été affectées par les activités minières, compromettant leur subsistance agricole et menaçant la sécurité alimentaire.

Dans la zone des Niayes, l’exploitation du zircon par Grande Côte Opérations (GCO) a transformé le paysage, avec des hectares de terres agricoles détruits, asséchés ou rendus impropres à la culture. Cette zone, où le maraîchage constitue l’activité économique principale, a vu l’expropriation des terres agricoles priver des centaines de familles de leurs seules sources de revenus. Les communes de Mbar Diop et Mbar Ndiaye en sont des exemples révélateurs. En effet, avec leur déplacement forcé, les habitants ont perdu l’accès à leurs champs, des terres qui assuraient non seulement leur sécurité alimentaire mais aussi leur autonomie économique. Pour ces populations rurales, dont le lien à la terre est à la fois économique, culturel et identitaire, la perte de leurs parcelles équivaut à une rupture brutale de leur mode de vie, plongeant de nombreuses familles dans une précarité encore plus profonde, sans perspectives claires de réinstallation durable ou de reconversion soutenue.

La déforestation, liée à l’extension des sites miniers et aux besoins en bois pour l’orpaillage traditionnel, est également pointée du doigt. De même, les entreprises ne communiquent que très partiellement voire pas du tout sur les mesures d’atténuation mises en œuvre, renforçant la suspicion des populations. Cette absence de transparence alimente des inquiétudes quant aux risques sanitaires liés à l’exposition aux poussières, produits chimiques et à la dégradation de la qualité de l’air et de l’eau.

À ces préoccupations environnementales déjà alarmantes s’ajoutent les impacts encore plus sévères causés par les Industries Chimiques du Sénégal (ICS), également présentes dans la région de Thiès, particulièrement dans la zone des Niayes. Les ICS sont régulièrement accusées de dégager d’importants volumes de gaz nocifs qui affectent gravement les cultures, détruisant les récoltes et aggravant la perte des moyens de subsistance des communautés locales.

Ces atteintes à l’environnement et à l’agriculture de subsistance viennent renforcer la précarité des populations, déjà exposées à de multiples vulnérabilités. Contrairement à la Grande Côte Opérations (GCO), qui bien qu’elle ait également transformé le paysage de la zone, fait preuve d’une certaine ouverture au dialogue et d’efforts visibles en matière de responsabilité sociale et environnementale, les ICS se montrent peu coopératives avec les organisations de la société civile comme la Coalition Publiez Ce Que Vous Payez ou encore l’Initiative pour la Transparence dans les Industries Extractives (ITIE). Ce refus de collaboration alimente un sentiment d’injustice et d’impunité, et renforce la défiance des communautés locales à l’égard des entreprises minières opérant dans la région.

Des inégalités sociales aggravées par l’exploitation minière

Les inégalités sont au cœur des tensions constatées dans la région de Thiès. L’étude révèle une accentuation des disparités de revenus et d’accès aux ressources, créant des fractures sociales profondes entre populations locales, migrants et employés des sociétés minières. Ce déséquilibre engendre une hausse significative des conflits communautaires, relevée par 40,3 % des personnes interrogées. À Thiès, seulement 2,2 % des répondants rapportent une amélioration de leur niveau de vie.

Les jeunes, souvent sans emploi et frustrés par leur mise à l’écart des retombées économiques, sont particulièrement exposés à l’exclusion, voire à la radicalisation sociale. Ils expriment un fort sentiment d’injustice, accentué par l’absence de consultation préalable dans les prises de décision relatives aux projets extractifs.

Quant aux femmes, elles sont souvent les premières victimes de l’instabilité générée. Nombre d’entre elles rapportent une hausse des violences domestiques dans les zones minières où 60,2 % des femmes de Thiès estiment que les conflits liés au foncier ou à l’accès aux ressources ont accentué les tensions familiales. Leur rôle traditionnel de gestion des terres et de médiation culturelle est mis à mal par la recomposition brutale des structures sociales locales.

Une gouvernance minière encore trop distante des réalités Locales

L’étude pointe également les limites d’une gouvernance trop centralisée et distante, peu adaptée aux spécificités des territoires miniers comme Thiès. Les communautés se sentent exclues des espaces de décision. Ce qui fait que 85,2 % des habitants estiment que les entreprises minières ne les consultent jamais avant de démarrer leurs activités.

Les mécanismes de contrôle et de suivi des impacts sont jugés inefficaces. Plus de 80 % des femmes (82,7 %) et des hommes (77,8 %) considèrent que les structures en charge de la régulation sont trop éloignées de leurs préoccupations réelles. Cette rupture de confiance se traduit aussi par une faible participation des citoyens dans les comités de suivi ou dans les forums d’interpellation. L’absence de cadres de dialogue permanents, l’opacité sur les revenus générés par les compagnies et le manque d’outils de redevabilité adaptés alimentent une défiance croissante vis-à-vis des autorités locales et nationales.

Le travail de l’Initiative pour la Transparence dans les Industries Extractives (ITIE), dont le Sénégal est membre, est crucial pour répondre à l’exigence 6.4, particulièrement en perspective de la prochaine validation du Sénégal. Le rapport sur les vulnérabilités pourrait être très intéressant pour compléter le travail remarquable qui est en train d’être fait par l’ITIE à travers son rapport. Le Comité National ITIE a d’ailleurs effectué une visite de terrain auprès des communautés et de GCO dans la zone des Niayes pour créer un espace de dialogue. De même, la Coalition Publiez Ce Que Vous Payez a récemment reçu une délégation de GCO pour discuter des mesures à entreprendre afin de juguler les vulnérabilités des communautés dans cette zone.

Recommandations fortes du rapport

La création de comités locaux de suivi intégrant les jeunes, les femmes, les leaders communautaires et les élus locaux. Ces structures auraient pour mission d’assurer le suivi des engagements sociaux et environnementaux des entreprises et de relayer les préoccupations des habitants.

Une révision des mécanismes de compensation, afin de garantir plus d’équité dans la répartition des bénéfices issus du secteur. La mise en place de quotas d’emploi local, la formation des jeunes, ainsi que des fonds de développement communautaire autonomes sont autant de leviers proposés.

Le renforcement de l’accès à l’information, en rendant publics les contrats miniers, les études d’impact environnemental et les revenus générés. Le respect du standard ITIE doit se traduire concrètement dans les territoires.

Un modèle à redéfinir

Loin des discours optimistes sur les retombées de l’exploitation minière, la réalité de Thiès met en lumière les fragilités d’un modèle extractif trop peu encadré, inégalement redistributif et mal ancré localement. À travers les témoignages poignants des habitants, l’étude révèle une région sous tension, tiraillée entre ses promesses souterraines et ses blessures sociales visibles. Il est désormais urgent de repenser la gouvernance minière pour en faire un véritable levier de justice sociale, de durabilité environnementale et d’équité territoriale. Faute de quoi, la richesse du sous-sol sénégalais pourrait bien devenir le terreau d’une fracture sociale difficile à refermer

Yanda Sow

 

 

 

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