Par Mansour Ndiaye, Expert en agroforesterie
Directeur exécutif d’Afrique Verte et Fertile-Sénégal (AVF-Sn)
Au Sénégal, les signes d’alerte sont partout : dégradation massive des terres, raréfaction des forêts, perturbations climatiques accrues, baisse de la fertilité des sols, effondrement de la productivité agricole. Ce n’est plus un constat issu de rapports techniques ou d’analyses en laboratoire. Il suffit de parcourir nos terroirs, du nord au sud, jusque dans des zones jadis verdoyantes comme la Casamance, pour voir la gravité de la situation.
Face à ce tableau sombre, il est impératif de changer radicalement de cap. Les solutions ponctuelles, les politiques agricoles de surface ou les interventions isolées ne suffisent plus. Ce qu’il faut aujourd’hui, c’est une approche systémique, ancrée dans une vision durable, portée par une volonté politique forte et construite avec les acteurs de terrain.
L’agroforesterie apparaît aujourd’hui comme l’option la plus crédible et la plus efficace pour inverser la tendance. Elle permet de restaurer les sols, de reconstituer la biodiversité, d’améliorer la disponibilité en eau, de sécuriser les moyens d’existence des communautés rurales et de s’adapter aux effets du changement climatique. Et contrairement à certaines idées reçues, ses résultats peuvent être visibles à très court terme.
L’exemple du Cajanus cajan, communément appelé bois d’Angole, en est la preuve. En moins de cinq mois, cette espèce offre à la fois du bois, du fourrage pour le bétail, des fruits, des feuilles utilisables pour l’alimentation et surtout une capacité de restauration rapide de la fertilité des sols. Elle répond ainsi aux besoins immédiats des producteurs qui, aujourd’hui, n’ont plus le luxe d’attendre plusieurs années pour espérer des résultats.
Un changement de mentalité nécessaire
Pourtant, malgré les expérimentations réussies, la réticence au changement demeure. Le paysan sénégalais, souvent laissé à lui-même, manque d’accompagnement technique, de formation adaptée, de suivi. L’État, de son côté, agit souvent par à-coups, sans vision de long terme. Nous menons des actions d’éclat sans transformation structurelle. Il est temps d’oser une réforme en profondeur du conseil agricole, fondée sur l’agroécologie, la recherche appliquée, et la valorisation des savoirs locaux.
Nous devons repenser nos modèles d’agriculture. L’agriculture que nous pratiquons aujourd’hui est celle d’hier. Mais le climat, les sols, les dynamiques sociales, eux, ont changé. Nous ne pouvons plus produire comme il y a quarante ans. Il faut évoluer, s’adapter, et surtout, anticiper.
Une combinaison d’espèces à rentabilité différée
La solution passe aussi par un mix intelligent d’espèces végétales. Certaines comme le Cajanus cajan donnent des résultats spectaculaires à court terme. D’autres arbres fértilitaires, ont un effet structurant sur le long terme. Il faut savoir combiner les espèces à croissance rapide avec celles dont l’impact durable est prouvé sur la fertilité, l’humidité et la stabilité des sols.
Il s’agit donc de repenser la restauration des terres non pas comme une opération de boisement ponctuel, mais comme une stratégie intégrée, alliant agriculture, élevage, foresterie, et gestion de l’eau.
Le piège des engrais chimiques
Tant que nos sols resteront nus, sablonneux, appauvris en matière organique, les engrais, même distribués gratuitement, ne produiront que peu d’effets. Les études le montrent : seuls 30 % des engrais chimiques sont réellement valorisés dans nos conditions agroécologiques actuelles. Le reste est perdu, lessivé, parfois même nuisible pour les nappes phréatiques.
Ce qu’il faut, c’est redonner vie au sol : lui rendre sa structure, sa matière organique, son activité biologique. Et cela ne se fera pas par des intrants exogènes, mais par une restauration biologique et écologique progressive, fondée sur des espèces végétales fertilitaires.
Un appel aux autorités et à la société
Nos autorités doivent entendre ces alertes. Il ne s’agit plus de répéter les constats, mais de passer à l’action, de manière coordonnée et cohérente. Il est temps de soutenir les initiatives paysannes, de financer des projets pilotes agroforestiers, d’intégrer ces pratiques dans les politiques publiques, de former des jeunes, de vulgariser les expériences réussies.
Le Sénégal a encore le temps d’agir. Mais ce temps est compté. Les clignotants sont rouges partout : sols, forêts, pluies, rendements, ressources pastorales. Pour que les générations futures puissent encore produire, vivre et respirer sur ces terres, il faut, dès aujourd’hui, faire de la restauration écologique un pilier de notre politique agricole nationale.
Yanda Sow