Alors que Touba fait face chaque année à de graves inondations, des milliards de mètres cubes d’eau de pluie s’accumulent autour de la ville, créant désolation et chaos. Mais au lieu de les considérer uniquement comme un fléau, pourquoi ne pas les transformer en ressource stratégique pour développer l’agriculture, créer de l’emploi et renforcer la sécurité alimentaire ?
« Nous avons autour de Touba d’immenses volumes d’eau qui sont canalisés puis stockés dans des zones de rétention. Cette eau disparaît ensuite, s’évapore, s’infiltre ou est tout simplement ignorée », déplore Mansour Ndiaye l’expert en agroforesterie. Selon lui, cette situation est un non-sens dans un pays qui lutte encore pour sécuriser ses productions agricoles et stopper l’exode rural. « Au lieu de la laisser filer, pourquoi ne pas la valoriser ? Pourquoi ne pas penser Touba comme un grand bassin agricole irrigué grâce aux eaux de pluie ? », interroge-t-il.
Durant les derniers jours, les quartiers de Touba ont été submergés. Les nouvelles autorités ont déployé un dispositif d’urgence pour évacuer les eaux vers les sites de stockage aménagés autour de la ville. Ces efforts, bien que louables, restent selon Mansour Ndiaye insuffisamment capitalisés. « Ce que nous appelons aujourd’hui inondation peut devenir demain une ressource maîtrisée. C’est une question de volonté politique, de planification et d’ingéniosité technique », soutient-le Directeur exécutif d’Afrique Verte et Fertile – Sénégal (AVF-Sn).
Il estime que cette eau, stockée pendant la saison des pluies, pourrait être réutilisée pour irriguer des surfaces agricoles tout au long de l’année. Le maraîchage, l’agriculture fruitière, l’élevage, la culture du fourrage, toutes ces activités pourraient se développer autour de Touba. « Il est temps d’arrêter de subir l’hivernage. Il faut le dompter, le mettre au service du développement local. »
Et face aux interrogations sur la qualité de cette eau, souvent chargée de boues ou de résidus urbains, Mansour Ndiaye rassure « Cette eau n’a aucun impact sur la qualité des fruits et légumes produits. L’eau utilisée pour l’irrigation n’est pas nécessairement absorbée dans sa totalité par les fruits. Ce n’est pas cette eau que l’on retrouve dans le produit final. C’est un processus biologique complexe, et les risques sanitaires sont quasi inexistants lorsqu’on maîtrise les techniques de culture. »
Pour appuyer sa vision, Mansour Ndiaye s’inspire d’expériences concrètes à travers l’Afrique. Il cite l’exemple du Burkina Faso, où des systèmes de retenue d’eau créés sous Thomas Sankara ont permis de structurer un développement agricole autour de lacs artificiels, servant à la fois à la pêche, à l’irrigation et à l’abreuvement du bétail. « Ce qu’ils ont fait à Ouagadougou, nous pouvons le faire à Touba, à Kaolack, à Kaffrine, à Matam. Il suffit d’avoir une stratégie. »
L’idée n’est pas seulement technique, elle est aussi sociale et économique. Pour lui, ces bassins de rétention pourraient devenir des centres de création d’emplois. Ils contribueraient à fixer les jeunes dans les zones rurales, à favoriser leur retour vers les terroirs, à réduire l’exode vers Dakar ou l’émigration clandestine.
Une solution contre le dérèglement climatique et la pauvreté rurale
Face aux effets du changement climatique, le Sénégal ne peut plus compter uniquement sur l’hivernage pour assurer ses récoltes. Les cycles sont devenus imprévisibles, les sécheresses plus longues, les pluies plus intenses mais brèves. L’irrigation devient donc une nécessité. Et l’eau de pluie, une fois stockée, peut jouer ce rôle. « Le grand facteur limitant de notre agriculture, c’est l’eau. Si on la capte quand elle est là, on peut irriguer pendant la saison sèche. Cela permettrait même de restaurer la fertilité des sols par des plantations d’arbres fertilisants, de développer des cultures de contre-saison, et d’abreuver le cheptel. »
Il estime aussi qu’au lieu de forer jusqu’à 200 mètres pour chercher l’eau dans les nappes profondes, souvent coûteuses à exploiter, il serait plus rationnel et écologique d’utiliser les eaux superficielles disponibles et renouvelables. « C’est moins cher, plus efficace et cela correspond mieux à notre réalité. »
Une proposition concrète : un projet pilote à Touba
Pour passer de l’idée à l’action, Mansour Ndiaye propose de lancer un projet pilote autour de Touba. Ce projet inclurait l’identification des bassins de rétention, la cartographie des zones agricoles exploitables, la mobilisation des jeunes pour les former aux techniques d’irrigation et de culture hors-sol, et l’accompagnement des familles rurales. « Il faut que Touba devienne un modèle. On y trouve une forte population, une jeunesse dynamique, et une pression foncière qui pousse à innover. »
Il insiste sur le fait que le Sénégal doit arrêter de penser l’agriculture comme une activité de saison. « Travailler deux mois pendant l’hivernage et espérer vivre douze mois, ce n’est plus viable. Il faut construire un modèle d’agriculture irriguée, post-hivernale, soutenue par les eaux que nous avons déjà. »
Une vision au service de la jeunesse et de la souveraineté alimentaire
Dans son plaidoyer, Mansour Ndiaye voit aussi une réponse à la crise de l’emploi. « Les jeunes qui migrent par milliers vers Dakar ou vers l’Europe pourraient rester s’ils trouvaient autour de Touba des parcelles irriguées, des coopératives agricoles dynamiques, des circuits courts pour vendre leurs productions. »
Pour lui, le moment est venu de transformer chaque goutte d’eau tombée sur Touba en levier de développement. « L’eau ne doit plus être notre ennemie. Elle peut devenir notre alliée. Il suffit de changer de regard. Et d’agir. »
Yanda Sow