Ressources minérales : “La transformation locale n’est plus une option, c’est une nécessité nationale”

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Dr Moussa Sylla ingénieur géologue : “La transformation locale n’est plus une option, c’est une nécessité nationale”

Dans un contexte où l’Afrique rebat les cartes de sa souveraineté économique, le Sénégal se trouve à un tournant décisif. L’exploitation minière progresse, les investissements se multiplient, le gaz naturel devient une réalité, mais la transformation locale des ressources reste faible. C’est ce diagnostic sans ambiguïté que pose le géologue et professeur Moussa Sylla, spécialiste reconnu du secteur minier.

Pour lui, les difficultés du pays ne tiennent pas à l’absence de ressources bien au contraire  mais à l’incapacité structurelle de les transformer sur place. Il pointe d’abord une faiblesse juridique : le cadre légal évoque la transformation, mais ne l’organise pas. « Le Code minier mentionne la transformation dans son champ d’application, mais dans le texte lui-même, le mot n’existe nulle part. Ce vide dit tout. Nous parlons de transformation, mais nous ne l’intégrons pas dans nos lois », tranche-t-il.

Cette incohérence se répercute sur l’ensemble de la chaîne de valeur. Les infrastructures industrielles sont insuffisantes, l’énergie demeure coûteuse, le transport pose des contraintes lourdes, et les mécanismes d’incitation sont jugés dérisoires. « Lorsqu’on enlève un point sur la redevance minière pour un produit transformé, ce n’est pas une politique d’incitation. C’est une mesure symbolique, pas un levier structurant », analyse-t-il.

Selon lui, le Sénégal ne pourra franchir un cap qu’en alignant sa volonté politique avec un véritable droit de l’industrialisation. Les stratégies affichées – transformation locale, valeur ajoutée, création d’emplois  ne s’incarneront que si les lois minières et industrielles sont réorientées vers une ambition claire : transformer avant d’exporter.

Phosphates, fer, ciment, gaz : les filières où le Sénégal peut réellement se transformer

Le géologue identifie des ressources clés dont la transformation est techniquement et économiquement viable. Les phosphates figurent en tête, et le Sénégal dispose d’un historique solide dans ce domaine. « Nous avons été pionniers en Afrique dans la transformation des phosphates. Dès 1966, Mbao possédait une usine capable de produire de l’acide sulfurique. Dès 1976, ICS transformait le phosphate en acide et, depuis les années 1990, la moitié de la production nationale était déjà transformée localement. Aujourd’hui, ICS a doublé sa capacité », rappelle-t-il.

Dans un marché international en mutation, où les grands importateurs privilégient désormais les engrais finis, le Sénégal a donc un avantage industriel historique qu’il doit consolider.

Le fer représente une autre opportunité stratégique. La Falémé, longtemps laissée en suspens, mérite d’être repensée à l’aune du gaz naturel, qui sera disponible dans les prochaines années. « Le gaz est un intrant énergétique indispensable. Avec une énergie compétitive, la transformation du fer sur place devient réaliste, rentable et souveraine. »

Face au projet SIMANDOU en Guinée, titanesque, coûteux et susceptible de saturer le marché international, il juge peu pertinent d’imaginer exporter du fer brut de la Falémé « Ce serait irrationnel d’investir des milliards pour une exportation qui subira probablement une baisse des prix. En revanche, transformer localement change complètement la donne. »

Le ciment et les engrais figurent également parmi les secteurs où le pays a déjà une base industrielle solide et un marché régional dynamique. L’Afrique de l’Ouest connaît un taux annuel de croissance de la construction proche de 8 %, et la demande agricole explose. Le continent, avec la ZLECAf, devient un espace commercial intégrable, solvable et stratégique.

« L’idée selon laquelle l’Afrique n’est pas un marché n’est plus exacte. Nous avons une population à nourrir, des villes à bâtir, un espace continental unifié. Rien n’interdit au Sénégal d’être un pôle régional d’engrais, d’acier ou de matériaux de construction. »

La souveraineté industrielle comme ligne directrice

Le professeur Sylla insiste sur le fait que les ressources ne suffisent pas. Les intrants, l’énergie, les infrastructures et l’aménagement optimal des zones industrielles doivent être planifiés avec cohérence. Positionner une usine ne se fait pas selon une carte politique mais selon une logique technique, énergétique et logistique.

Il rappelle que, dans les années 1960 et 1970, le Sénégal savait déjà concevoir une stratégie industrielle intégrée. Ce passé doit inspirer le futur « Nous avons l’uranium, le phosphate et potentiellement le gaz naturel pour l’urée. Nous avons ce que beaucoup de pays n’ont pas. Mais la charité bien ordonnée commence par soi-même. Travaillons d’abord avec nos propres matières premières, nos propres ressources énergétiques, notre propre marché. »

Le Sénégal à la croisée des chemins

Le message de Moussa Sylla résonne comme un appel : transformer localement, renforcer la souveraineté industrielle, cesser d’exporter des opportunités brutes et organiser les filières autour d’une vision long terme.

Le pays détient des atouts rares à savoir des ressources stratégiques, un marché régional en expansion, un gaz naturel disponible prochainement, un cadre continental favorable avec la ZLECAf et des investisseurs déjà positionnés dans la sidérurgie.

Mais il lui manque un élément essentiel qui est cette réforme lucide, ambitieuse et opérationnelle de ses lois minières et industrielles, accompagnée d’un plan d’infrastructures adapté et réellement incitatifs.

Si le Sénégal saisit ce moment, il peut devenir l’un des futurs hubs industriels de l’Afrique de l’Ouest. S’il le manque, il restera un pays exportateur de matières premières brutes, dépendant des cycles internationaux. Pour Moussa Sylla, le choix est simple mais urgent « La transformation locale n’est pas un luxe. C’est le seul chemin vers la souveraineté économique. »

Yanda Sow

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