La ville de Saint-Louis est devenue, en quelques années, un territoire stratégique de l’industrie gazière du Sénégal et de la Mauritanie. Mais si les ambitions économiques portées par le projet offshore Grand Tortue Ahmeyim (GTA), conduit par bp et ses partenaires peinent à produire des effets perceptibles pour les populations riveraines.
C’est ce que sont venues rappeler les communautés locales, ce 17 avril, à l’occasion d’une rencontre sectorielle organisée par le Comité national de l’Initiative pour la transparence dans les industries extractives (CN-ITIE) à la Chambre de commerce de Saint-Louis derniere étape de la dissemination du rapport ITIE 2023.
Dans une salle comble, pêcheurs artisanaux, femmes transformatrices de produits halieutiques, représentants d’organisations communautaires et jeunes entrepreneurs ont multiplié les interpellations. Tous ont exprimé un même sentiment d’exclusion, pointant l’écart croissant entre les discours des opérateurs et la réalité sociale vécue sur le littoral.
« Nous avons perdu nos zones de pêche les plus poissonneuses, sans aucune alternative concrète », résume un leader de groupement de pêcheurs. Depuis l’installation des infrastructures offshore de GTA, l’accès à Ndiatara, autrefois haut lieu de l’activité halieutique, est devenu impossible, tandis que les pêcheurs se heurtent à l’absence persistante de licences permettant de franchir la frontière maritime avec la Mauritanie. Le nombre de pirogues immobilisées à Saint-Louis se compterait aujourd’hui par milliers, faute d’espace de pêche.
Les griefs ne s’arrêtent pas aux seules questions maritimes. Les engagements de Responsabilité sociétale des entreprises (RSE), souvent mis en avant par bp et ses partenaires, sont jugés insuffisants, mal ciblés, et parfois inexistants.
Plusieurs intervenants ont rappelé que les récifs artificiels promis depuis 2019 n’ont toujours pas été réalisés, tandis que les propositions de réaménagement de la brèche point de passage périlleux pour les pêcheurs , sont restées sans réponse. « Il y a un gouffre entre les annonces et les actes », a affirmé Mme Fama Sarr membre d’une organisation de femmes transformatrices.
Même constat chez les entrepreneurs locaux, qui dénoncent l’opacité dans l’attribution des marchés liés aux projets extractifs et l’exclusion systématique des entreprises saint-louisiennes des chaînes de sous-traitance.
Face à ces critiques, bp a annoncé, par la voix de son responsable RSE, Mouhamadou Diallo, l’ouverture prochaine d’un bureau à Saint-Louis. Ce lieu, présenté comme un espace d’écoute ouvert aux pêcheurs, femmes, jeunes, OSC et opérateurs économiques, ambitionne de rétablir un lien direct entre les communautés et l’entreprise.
Une initiative accueillie avec prudence. « C’est un pas dans la bonne direction, mais cela ne réglera pas à lui seul des années d’incompréhension », glisse un représentant associatif présent dans la salle.
En clôture de la rencontre, le président du CN-ITIE, Thialy Faye, a livré un diagnostic sans détour : « La confiance ne peut se rétablir que par des mécanismes clairs, accessibles et équitables. » Il a appelé à une redynamisation des cadres de concertation multipartites, à une plus grande transparence dans la mise en œuvre de la RSE, et à une stratégie d’allotissement des marchés pour favoriser l’accès des PME locales aux contrats liés au gaz.
Il a également insisté sur la nécessité de financer des projets à fort impact communautaire, élaborés avec les acteurs du territoire, et suivis par des mécanismes publics de redevabilité.
Si l’industrie gazière est aujourd’hui au cœur des ambitions énergétiques du Sénégal, le cas de Saint-Louis révèle les tensions qui naissent lorsque développement économique et justice sociale ne progressent pas de pair. Dans un contexte de méfiance accrue envers les multinationales extractives, le fossé entre promesses et vécu alimente un ressentiment profond.
Pour rappel, les données relatives à la région de Saint-Louis pour l’année 2023 mettent en évidence une contribution significative du secteur extractif. La contribution globale s’élève à 17,98 milliards de FCFA, en nette progression par rapport aux 10,64 milliards de FCFA enregistrés en 2022.
Sur ce montant, 15,04 milliards de FCFA ont été directement versés au budget de l’État. En ce qui concerne l’emploi, 143 personnes ont été recrutées par les entreprises bp et Kosmos Energy, pour une masse salariale totale de 21,44 milliards de FCFA.
Le volume des transactions effectuées par ces entreprises, auprès de fournisseurs locaux et étrangers opérant dans la région, s’établit à 23,46 milliards de FCFA. Toutefois, seules 91 millions de FCFA ont été captées par des entreprises établies à Saint-Louis, notamment El Hadji Salif Mbengue SARL (26 millions), Ndar 24 & Co. (37 millions) et Sodial S.A. (26 millions).
Concernant le Fonds d’Appui aux Collectivités Territoriales (FAPCT), l’arrêté interministériel n°028096 du 8 novembre 2024 fixe le montant pour l’année 2021 à 7,31 milliards de FCFA, dont 214 millions de FCFA sont destinés aux collectivités territoriales de la région de Saint-Louis. Pour l’année 2022, ce montant s’élève à 8,59 milliards de FCFA, avec une enveloppe de 254 millions de FCFA allouée aux mêmes collectivités (cf. arrêté interministériel n°028097 du 8 novembre 2024).
Enfin, un montant global de 334,89 millions de FCFA a été distribué au titre de paiements environnementaux.
Yanda Sow