Le Comité régional de développement (CRD) de Matam, consacré à la dissémination du rapport ITIE 2023, a mis en lumière l’essor considérable du secteur extractif dans la région, notamment dans l’exploitation du phosphate. À travers des chiffres marquants, la rencontre a démontré l’impact croissant des activités minières sur l’économie locale et nationale.
En 2023, les entreprises minières opérant dans la région de Matam ont contribué à hauteur de 5,664 milliards FCFA, contre 1,94 milliard FCFA en 2022, soit une hausse spectaculaire de près de 190 %. Cette progression est principalement portée par la Société Minière de la Vallée (SOMIVA), qui, à elle seule, a versé 5,22 milliards FCFA au budget national, contre 1,92 milliard FCFA l’année précédente.
La production annuelle de SOMIVA atteint 594 170 tonnes de phosphate naturel, valorisée à 33 milliards FCFA. Cette dynamique conforte la place stratégique de Matam dans la politique d’industrialisation nationale, alignée sur la Vision « Sénégal 2050 », qui vise à promouvoir une transformation locale des ressources pour une économie plus inclusive.
Sur le plan social, SOMIVA a investi 168 millions FCFA en paiements volontaires, orientés vers l’éducation, le soutien institutionnel et les collectivités territoriales. Toutefois, ces efforts sont perçus comme insuffisants par les communautés locales, qui ont exprimé de vives attentes lors du Forum communautaire de Kanel, tenu le lendemain du CRD.
Organisé sous la présidence du Préfet de Kanel M Cheikh Ahmadou Ndoye, le forum communautaire a réuni les populations, les autorités locales, la société civile, SOMIVA et les représentants de l’ITIE, dans un cadre d’écoute et de dialogue. Les échanges ont été francs, parfois poignants, révélant une profonde attente de justice sociale et de participation effective.
Le Président du CN-ITIE, Thialy Faye, a salué cette mobilisation citoyenne, y voyant « une première opportunité pour les communautés de s’exprimer sur les problématiques liées au secteur minier ». Il a encouragé un dialogue constructif, incitant les participants à formuler des propositions concrètes.
Il ajoute « la mine ne peut pas employer tout le monde, mais tout le monde peut travailler avec la mine », exprimant sa volonté d’écouter les besoins locaux et de soutenir les projets de développement.
Doleances des communautés
Parmi les nombreuses doléances exprimées il y’a l’emploi des jeunes, avec des critiques sur l’absence de recrutement dans plusieurs localités depuis deux ans et un appel à la création de centres de formation aux métiers des mines.
L’accompagnement des femmes et personnes handicapées, notamment via le financement des GIE féminins, l’appui logistique (irrigation, accès au marché), et l’inclusion dans les processus de recrutement en passant par les impacts environnementaux et sanitaires, liés à la pollution de l’eau, à la santé respiratoire des femmes et enfants, et aux inondations dues au fleuve.
L’opacité dans l’utilisation des fonds sociaux, notamment les 124 millions FCFA alloués par SOMIVA aux communes, dont la traçabilité est exigée.
Recommandations formulées
Plusieurs pistes ont été avancées par les participants notamment la création d’un comité multipartite de sélection de projets (préfet, sous-préfets, maires), inspiré du modèle FISE à Mako (Kédougou), pour garantir la neutralité et l’impact des financements.
Quatre axes d’intervention prioritaires à savoir les énergies renouvelables/environnement ; éducation, santé et insertion professionnelle ; agriculture, élevage et pêche ; genre et groupes vulnérables. Il s’agit egalement de mettre l’accent sur la formation des jeunes avec la centres de formation professionnelle pour les jeunes.
Le Préfet de Kanel M Ndoye s’est engagé à formaliser ces recommandations et à mettre en place un comité de pilotage dans les plus brefs délais, avec l’appui de l’ITIE.
À l’issue de ces deux journées, les interventions des autorités ont permis de recentrer les priorités sur la gouvernance minière durable et inclusive.
Pour le gouverneur de la région de Matam, Saïd Ba, il est impératif que « le contenu local représente un enjeu stratégique de premier plan pour le développement et le renforcement des capacités des PME et PMI de la région ». Il a plaidé pour « une réorientation stratégique des dépenses sociales vers des investissements prioritaires » tels que les services de base et la formation des jeunes et des femmes.
Il a également proposé la création d’un cadre régional de concertation minière, qui permettrait un dialogue inclusif entre toutes les parties prenantes. « Il faut pouvoir tirer le meilleur parti de nos ressources, car elles ne sont pas renouvelables », a-t-il rappelé avec insistance.
Quant à Thialy Faye, président du Comité national ITIE, il a souligné que « la région de Matam constitue une zone à fort impact industriel ». Il a réaffirmé la vision du gouvernement de faire de Matam « un poumon économique du pays », et a conclu :
« Ce n’est que par le recours à des données fraîches et à jour que nous pourrons promouvoir un débat public éclairé ».
Matam, aujourd’hui plus que jamais, se trouve à un tournant décisif. Sa trajectoire économique ne pourra se consolider que par une gouvernance rigoureuse, une implication citoyenne effective et une juste répartition des bénéfices de ses richesses naturelles.
Yanda Sow