Il y a un an jour pour jour, le 11 juin 2024, le Sénégal entrait officiellement dans le cercle des pays producteurs de pétrole, avec l’extraction des premiers barils sur le champ offshore de Sangomar, opéré par la compagnie australienne Woodside Energy. Cette étape historique, saluée comme un tournant majeur pour la souveraineté énergétique nationale, suscite aujourd’hui une interrogation centrale dans le débat public : pourquoi, malgré cette manne pétrolière, les prix à la pompe restent-ils aussi élevés, voire supérieurs à ceux de pays qui ne produisent pas un seul litre de brut ?
C’est cette question que le député Thierno Alassane Sall, ancien ministre de l’Énergie, a adressée au gouvernement, interpellant directement le ministre en charge du secteur. À ses yeux, l’entrée du pays dans l’ère pétrolière aurait dû entraîner une baisse significative du coût du carburant pour les consommateurs. Pourtant, le prix du litre de super sans plomb oscille toujours autour de 890 francs CFA (environ 1,35 euro ou 1,45 dollar), un niveau jugé incompréhensible dans un contexte où le pays exporte désormais du brut.
Le paradoxe est d’autant plus frappant que les résultats de la première année d’exploitation dépassent largement les prévisions initiales. En 2024, le champ de Sangomar a produit près de 16,9 millions de barils de pétrole, bien au-dessus des 11,7 millions attendus. Cette performance a généré environ 950 millions de dollars de revenus, soit 595,5 milliards de francs CFA, selon le ministère de l’Énergie, du Pétrole et des Mines. La cadence s’est accélérée en 2025, avec déjà plus de 12,7 millions de barils extraits au cours des quatre premiers mois de l’année. Si la tendance se confirme, la production annuelle pourrait atteindre 30,5 millions de barils d’ici décembre.
Ce volume impressionnant repose sur une douzaine de puits reliés à l’unité flottante FPSO Léopold Sédar Senghor, capable de traiter jusqu’à 100 000 barils par jour. Pour la première fois dans l’histoire du pays, une part du brut produit localement a même été destinée au marché intérieur, signalant une volonté affichée de renforcer l’autonomie énergétique du Sénégal.
Mais cette réalité ne suffit visiblement pas à convaincre les usagers qui, chaque jour, doivent faire face à un coût élevé du transport, des denrées, et des services. Pour Thierno Alassane Sall, il est urgent d’apporter des réponses claires : où vont les recettes tirées de la vente du pétrole ? Pourquoi le brut national ne contribue-t-il pas encore à la baisse du prix du carburant à la pompe ? Et surtout, quand les Sénégalais ressentiront-ils concrètement les bénéfices promis de cette exploitation ?
Le gouvernement, qui affirme vouloir faire du pétrole un levier de développement durable et équitable, se voit désormais sommé de rendre des comptes. La question de la transparence dans la gestion des revenus pétroliers, de la redistribution des richesses et de l’impact réel sur le coût de la vie prend une acuité particulière à l’occasion de ce premier anniversaire de production.
Si le pétrole est bien là, l’équité énergétique, elle, reste en suspens. Le défi des autorités sera désormais de transformer cette richesse enfouie en gain palpable pour chaque citoyen. Et cela passe aussi par une vérité des prix à la pompe.
Yanda Sow